Par
Grégoire Legrain dans
Philosophies le
3 Août 2011 à 22:04
Dans les contacts avec les personnes qui ont la pudeur des sentiments, il faut savoir dissimuler : elles sont susceptibles d’une haine subite pour qui surprend chez elles un sentiment délicat, enthousiaste ou sublime, comme s’il avait vu leurs secrets. Si on tient à leur être agréable en pareils instants, qu’on les fasse rire ou qu’on leur décoche quelque froide raillerie : leur émotion se glacera et elles se ressaisiront aussitôt.
Mais je donne ici la morale avant l’histoire.
Nous avons été un jour si proches l’un de l’autre dans la vie que rien ne semblait entraver notre amitié et notre fraternité, seul l’intervalle d’une passerelle nous séparait encore. Et voici que tu étais sur le point de la franchir, quand je t’ai demandé : « Veux-tu me rejoindre par la passerelle ? » Mais déjà tu ne le voulais plus, et à ma prière réitérée tu ne répondis rien ! Et depuis lors, des montagnes et des torrents impétueux, et tout ce qui sépare et rend étranger l’un à l’autre, se sont mis en travers, et quand bien même nous voudrions nous rejoindre, nous ne le pourrions plus!
Mais lorsque tu songes maintenant à cette petite passerelle, la parole te manque et tu n’es plus qu’étonnement et sanglots.
F.N. in GS, 1881.